Tempête sur la paix.

Publié le par ag94

Les raisons inavouables d’une opposition atlantiste au lauréat Obama

15-10-2009

Par Mohamed Bouhamidi

Des courants politiques, des personnalités représentatives comme le chef du Parti républicain, le journal de Wall Street, deux prix Nobel, des internautes, des éditorialistes et chroniqueurs ont déclenché une tempête après l’attribution du prix Nobel de la paix à Barack Obama. Seule «fausse note» dans ce camp des «ennemis» du président américain, John MacCain qui s’est dit fier de cette distinction pour le président en exercice des Etats-Unis.

 

De leur côté, les Africains manifestent plutôt de la joie, une certaine fierté, peut-être un certain sentiment de revanche sur le sort, et sortiront certainement confortés dans leur intérêt et leur tendresse pour le «Noir» qui a accédé à la Maison-Blanche. Du côté arabe, on note une réaction d’espoir de voir doté d’un atout supplémentaire l’homme qui leur a promis la paix au Moyen-Orient et une ère de coopération et de respect. Mais on note également l’incrédulité pour un prix «attribué prématurément» à un homme qui a «bien parlé» et fait des promesses généreuses mais qui n’a «encore rien fait de palpable».

 

 

Leurs arguments ne manquent pas de poids au constat de ce qu’on considère déjà comme son échec personnel devant l’intransigeance de Netanyahu et les déclarations de ministres israéliens qui le décrivent avec arrogance comme un rêveur «sur des nuages». En gros, la presse algérienne a réservé le même accueil dubitatif. Ce qui est frappant et à souligner avec force est que les motivations de notre presse, en tout cas sous la plume de deux de nos meilleurs chroniqueurs du moment, sont essentiellement différentes de l’incroyable hostilité qu’ont manifestée les néo-conservateurs et les opposants américains et européens à toutes les orientations politiques d’Obama, qu’il s’agisse de l’Iran, de la Palestine ou de la couverture médicale qu’il veut assurer à des millions d’Américains qui en sont dépourvus (entre vingt-trois et trente-cinq millions, selon les sources) et dont vous devinez qu’ils sont, dans leur écrasante majorité, des Noirs.

 

 

Il était important de souligner cette différence de motivations et ces réserves car elles recoupent en fait une critique beaucoup profonde : elle discute les critères et les motivations qui mènent aux nominations puis à l’attribution de ce prix.  Ce point de vue que je partage est tout à fait différent de celui des néo-conservateurs et des Républicains, du journal de Wall Street ou de certains Démocrates.

 

 

La violence des réactions anti-Obama dans le camp occidental, par contre, intrigue réellement avec cette détermination et cette férocité mises à disqualifier cette attribution, jusqu’à cette réaction d’une leader politique norvégienne exigeant la démission du président du comité qui attribue le prix, lui-même norvégien et ancien Premier ministre. Le premier reproche à cette attribution est qu’Obama n’a encore rien réalisé. Pourquoi, tous ceux qui l’ont reçu ont réalisé quelque chose ?

 

Non seulement leurs bilans seraient minces mais beaucoup de récipiendaires sont d’authentiques hommes de guerre. Rabin, Peres, Begin ont-ils mené ne serait-ce que l’amorce d’une politique de paix avec les Palestiniens ? De droite ou de gauche, ces dirigeants israéliens ont uniment continué à spolier les Palestiniens de leurs droits et à leur confisquer leurs terres. La signature des accords de paix avec l’Egypte ou la signature des accords d’Oslo n’ont stoppé aucune des vocations guerrières de ce pays et de ses dirigeants. De sérieuses questions se posent quand  Peres, prix Nobel de la paix, accompagne moralement et politiquement les sauvages agressions contre le Liban et la bande de Ghaza.

 

 

Nous n’avons entendu aucune de ces personnalités sourcilleuses sur les réalisations concrètes des lauréats s’inquiéter de ce résultat pratique que l’attribution du Nobel de la paix ajoute aux victimes des bombes au phosphore la consolation d’être suppliciées par des mains «pacifiques».

 

On aurait compris que le prix soit attribué à Warchatsky pour sa lutte en faveur d’une vie pacifique et commune entre Palestiniens et Israéliens, ou à Aaron Shabtaï pour son action pour le respect des droits palestiniens, à Freud, Einstein ou H. Arendt pour avoir refusé de cautionner le projet sioniste comme projet injuste à l’endroit des Palestiniens. Non, on le donne à des dirigeants d’un projet colonial dont tout le monde sait que c’est par essence un projet de spoliation et d’extermination.

 

 

Le doute devient tout à fait légitime quand on examine l’histoire de cette attribution. Hitler a été nominé en 1939 par le Suédois Brandt après Mussolini nominé en 1936 en pleine expansion coloniale de l’Italie. Kissinger reçoit le prix après avoir participé à un gouvernement qui a fait aux Vietnamiens l’une des pires guerres post-1945 : trois millions de morts contre cinquante mille soldats américains et l’utilisation d’armes prohibées et profondément agressives contre les hommes et la nature. Lê Duc Tho a refusé le prix. On aurait compris que le prix soit attribué au Mouvement des étudiants américains pour la paix ou pour le Tribunal Russel. Non, c’est Kissinger qui le prend.

 

 

Al Gore le reçoit pour un film sur les menaces écologiques mais on oublie qu’il a appartenu à un gouvernement qui a maintenu un encerclement illégal de Cuba et un embargo contre l’Irak ayant tué six cent mille enfants irakiens par manque de médicaments et de nourriture.

 

On aurait compris que le prix sanctionne les luttes des Indiens d’Amazonie pour la préservation de leurs terres contre la voracité des multinationales ou des barons locaux et qui ont payé de leur vie et de leur sang la préservation de la nature. Ils ne le reçoivent pas mais le reçoit l’ancien vice-président d’une administration qui a traîné les pieds sur tous les accords internationaux sur l’environnement pour la simple réalisation d’un film réalisé avec des moyens hollywoodiens qui a plus donné bonne conscience à ceux dont les politiques ont détruit la planète.

 

A moins de penser que les guerres portées sur les terres et sur les têtes arabes, africaines ou latinos ne sont pas des guerres mais des opérations d’exportation des valeurs occidentales, on peut formuler de sérieux doutes sur ce prix éminemment  politique. La réalité est que ce prix a été conçu dans une Europe dont les éminents représentants étaient imbus de leurs missions coloniales civilisatrices, de leur devoir de porter aux barbares que nous sommes les lumières du progrès.

 

Tous les récipiendaires deux premiers tiers du vingtième siècle ont été occidentaux. A part quelques figures ou institutions indiscutables, comme celle d’Henri Dunant, ce prix est allé aux hommes qui ont construit la suprématie politique de l’Occident. Pis, des personnalités devenues conscience du monde de leur vivant ne l’ont pas reçu.

 

 

Nominé cinq fois, Gandhi ne l’a pas obtenu. Le prix n’était pas destiné aux métèques. Il a fallu que les luttes sociales et politiques des peuples dominés prennent une ampleur  planétaire et que ces peuples produisent des hommes de grand talent et de grand mérite comme Martin Luther King, Desmond Tutu ou Luthuli le chef de l’ANC.

 

 

L’absence de Gandhi finira par peser et le prix Nobel dans le deuxième tiers du vingtième siècle sera attribué à des personnalités ou des institutions qui propageront les valeurs démocratiques ou contribueront à la préservation de la nature. Les valeurs démocratiques ? Qu’est-ce que cela veut dire ? En clair, le prix sera remis à ceux qui défendront à la place des Occidentaux les «valeurs» de l’Occident. C’est au nom des valeurs démocratiques qu’Israël bombarde Ghaza et c’est un pays démocratique qui nous a mené  la guerre d’Algérie. Bien sûr, Mandela ou Desmond Tutu, Martin Luther King n’entrent pas dans ce schéma. Mais les éminents membres du comité Nobel n’allaient pas refaire la gaffe de Gandhi.

 

 

L’argument qu’Obama n’a rien fait ne tient pas la route. Car beaucoup de ceux qui l’ont reçu n’ont rien fait non plus. Ils ont sur les mains du sang. Prix politique par excellence, avec le prix de littérature, le prix Nobel de la paix est aussi un prix idéologique. Mais alors, si les arguments d’une partie de l’establishment américain et européen ne tiennent pas quel sens pouvons-nous extraire de cette campagne  et que nous révèlent les faits ?

 

 

Obama a accédé au pouvoir au milieu de manœuvres complexes qu’ont remportées les forces américaines conscientes de l’urgence de changer l’image des Etats-Unis dans le monde pour corriger les effets catastrophiques de la politique «tout par la guerre» de Bush et qui commençait à menacer les intérêts vitaux des Etats-Unis dans le monde, notamment au Proche et en Extrême-Orient. Le camp opposé à ces changements, celui du complexe militaro-industriel, des atlantistes et des néo-conservateurs, ne s’avouera pas vaincu après les élections.

Il réussira à transférer vers l’Europe une prise en charge de ses idées et de ses orientations via les anciens pays de l’Est ou via des dirigeants comme le président français. L’attitude envers l’Iran reste le meilleur signe pour distinguer ceux qui se sont alignés, post-Bush, sur ces orientations. Bush et les néo-conservateurs ont laissé en position dominante que les affaires du monde doivent être réglées par la guerre, non par la négociation, la médiation et par le recours aux institutions internationales légitimes.

 

Ils ont réussi à remplacer l’ONU par une vague communauté internationale qui se réduit à un gang de quelques Etats qui se sont auto-habilités à traiter de toutes les questions du Monde. L’instrument le plus important entre leurs mains reste l’OTAN qui n’a plus aucune légitimité ou justification après la disparition du pacte de Varsovie sauf à mener des guerres à de nouveaux ennemis, c’est-à-dire au reste du monde.

 

 

Or, Obama tourne résolument le dos à ces orientations. Je ne dis pas qu’il peut tourner le dos à cette politique compte tenu des guerres et des dossiers qu’il a sur les bras. J’écris qu’il tourne le dos à ces idées de «tout régler par la guerre». Les meilleures armes entre les mains des néo-conservateurs sont de trois ordres : la propagande anti-Obama ;  Israël et le lobby sioniste ; l’OTAN et on n’a pas choisi à sa tête, par hasard, Rasmussen, islamophobe et arabophobe patenté.

 

 

Les manifestants anti-Obama agitaient des pancartes l’accusant de marxisme, de socialisme et, pour quelques-uns, de communisme. Des doutes sont exprimés sur son «américanité» et son patriotisme. Sur le plan de la paix au Proche-Orient, un échec d’Obama serait fatal aux courants représentés par Jimmy Carter et Brzesenski et qui considèrent que les intérêts nationaux et stratégiques des Etats-Unis consistent dans une rupture radicale avec les options des néo-conservateurs. Ce sont leurs opposants encore puissants au Congrès, au Sénat et dans les appareils d’Etat qui encouragent Netanyahu à faire capoter toute perspective de paix. 

 

 

Leur but est de faire échouer toute tentative de sortir d’une vision atlantiste du monde et de cantonner Obama dans la seule fonction de changer l’image des Etats-Unis et de la vendre. Or, personne ne peut changer une image sans changer un tant soit peu la réalité et, de ce point de vue, Obama a réussi au moins une chose : il a placé les colonies israéliennes au centre des projecteurs. Ce qui passait pour naturel, normal, légitime ne l’est plus tout à fait. C’est déjà insupportable pour les Dick Cheney, Rice et consorts dans les méandres de l’administration américaine qu’Obama a voulu consensuelle dans un souci de rassemblement. Obama a eu le tort de prendre au sérieux les questions climatiques et il a  le tort de vouloir la négociation avec l’Iran. Il rêve à haute voix d’un monde sans armes nucléaires. Vous voyez le désastre pour tout le commerce de l’armement et pour le complexe militaro-industriel ? Il devient essentiel alors pour ses ennemis de le priver de toute autonomie, de toute liberté d’action pour l’empêcher d’aller plus avant.

 

 

L’enthousiasme mondial qui a accompagné l’élection de cet homme lui garantissait une sorte d’immunité. Le projet de l’assassiner ouvertement formulé n’est qu’une partie de toutes les options et de toutes les possibilités de le bloquer. Le faire échouer sur tous les plans est la meilleure façon de l’assujettir aux rapports de force internes. Toute autonomie de cet homme devient dangereuse pour ces plans. Même avec beaucoup d’autonomie, il ne pourra pas corriger même les aspects les plus criants de la politique américaine.

 

 

Le soutien à Israël ne se démentira pas et le sort du rapport Goldstone en fournira une preuve supplémentaire. Mais nul ne sait mieux que les dirigeants américains combien sont importants les idées politiques et leurs effets sur les opinions et il leur faut bloquer celles d’Obama.

 

 

Leur rage tient à cela. Le prix Nobel de la paix risque de lui donner encore plus d’aura, plus d’autonomie et plus de prestige. Il leur fallait casser cette montée d’un homme promu à un statut prophétique car il reprend à son compte, mais pour d’autres considérations et avec un autre sens, cette affirmation assénée partout sur la planète : un autre monde est possible. Obama ne fera pas la paix. Il ne le peut pas. Les luttes des peuples et leurs luttes, seules, imposeront la paix.

 

Nul messie ne le fera à leur place.

 

Cela, nous le savions. Les raisons, diamétralement opposées aux raisons de nos réserves, de ceux qui frappent sur Obama dans le camp occidental nous
paraissent encore plus odieuses.  

M. B
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