Les Arabes d’Israël se sont mal conduits ces derniers temps Gideon Levy (Ha’aretz)

Publié le par ag94

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Nos Arabes se sont mal conduits ces derniers temps. Après tout ce que nous avons fait pour Scandar Copti (cinéaste palestinien de la nouvelle génération) – en le finançant, en l’habillant et en l’expédiant à Hollywood – il a osé dire que son film « Ajami » - notre film, le film de nous tous – ne nous représentait pas finalement. Après que nous ayons autorisé le député Ahmed Tibi à suivre des études de médecine à l’université hébraïque ( !) et même l’avoir laissé se faire élire à la Knesset, il a osé comparer nos militants sionistes, emplis de bonté – les Olei Hagardom (colons sionistes clandestins) qui furent pendus par les Britanniques durant la période mandataire –, il a osé les comparer à leurs terroristes. Ce n’est pas sympa, Scandar. Ce n’est pas bien, Ahmed.

Les jeunes se sont déchaînés dans les rues : un sondage publié dans Ha’aretz la semaine dernière offrait une réponse sioniste sur mesure aux Arabes insoumis. La moitié de nos jeunes pensent que les Arabes ne méritent pas les mêmes droits que les juifs ; 56% croient qu’ils ne doivent pas briguer un siège à la Knesset. Et si nos Arabes continuent de se comporter de façon aussi scandaleuse, après tout ce que nous avons fait pour eux, ces chiffres ne vont faire qu’augmenter.

Etant donné que nos Arabes se sont manifestés dernièrement, peut-être ferions-nous bien de convoquer leurs parents pour un entretien. Eux n’auraient jamais agi comme cela. Ceux de la première génération du traumatisme de 1948 n’auraient jamais osé se comporter de manière aussi ingrate. Eux qui brandissaient, non pas un mais deux drapeaux israéliens le Jour de notre Indépendance, tel le héros de « La vie secrète de Saeed le pessoptimiste » d’Emile Habibi, eux n’auraient pas parlé comme Copti et Tibi. Ils ont voté en masse pour le Mapai, le précurseur du Parti travailliste, pendant que le Shin Bet, les services de sécurité, leur permettait de devenir des enseignants, dans leurs propres villes. Ils ont su apprécier tout cela.

Ce n’est pas nous, ce sont eux : si les nouveaux Arabes se comportent correctement, car s’ils nous ressemblent, s’ils parlent comme nous, s’ils mangent comme nous, avec des couteaux et des cuillers, s’ils vivent dans les quartiers branchés de Tel Qviv et conduisent des jeeps, s’ils préparent la maklouba et ingurgitent le humous,

peut-être que nous voterons pour eux encore à la nouvelle saison du « Big Brother », comme nous l’avons fait pour la juste et noble Futna Jaber (vieille femme arabe de la série télé réalité israélienne Big Brother, dont une série vient de se terminer). Mais s’ils parlent comme Tibi et Copti, alors leur sort sera le même.

Copti a réalisé un film impressionnant sur la réalité déprimante de Jaffa. Il n’a aucune raison de penser qu’il y représente notre Israël, lequel ne lui donne pas le sentiment d’en faire partie. Le financement qu’il a obtenu pour le film, pour son bon comportement, rappelle les régimes qui attribuaient de l’argent aux artistes en fonction des messages qu’ils faisaient passer.

Tibi non plus ne doit rien à l’Etat. Mais quand il a osé demander si les Olei Hagardom étaient des héros ou des terroristes, alors le président de la Knesset est sorti précipitamment de l’hémicycle. La question manquait-elle de fondement ? Tibi n’avait-il pas le droit mais aussi le devoir de la poser ? N’étions-nous pas tenus de lui répondre ?

Un acte diabolique a eu lieu le même jour où la Knesset se souvenait des Olei Hagardom, dont l’un autrefois a tiré sur un car et tué plusieurs passagers : l’Autorité palestinienne voulait donner à une place de Ramallah le nom de Dalal Mugrabi, cette jeune Palestinienne qui a participé à une attaque contre un car israélien sur la route côtière en 1978. Israël s’insurgeait contre cela. « Chaque nation détient sa propre vérité, » déclara Tibi avant de quitter l’hémicycle.

Le rêve suprême des Israéliens est que les Copti et les Tibi disparaissent de leur vue. Si le soi-disant problème démographique ne peut être résolu en mettant les Arabes dehors, alors nous essayerons de nous en débarrasser d’une autre manière : en détruisant leur identité, en brouillant leur mémoire nationale et en faisant d’eux des Israéliens, pour ne pas dire des sionistes. Ça ne marchera pas. Mais nous ne parlons pas seulement de discrimination économique, nous voulons fouler aux pieds leur patrimoine national. Ça ne marchera pas non plus. La troisième génération de l’après Nakba est avertie. Il est vrai que certains d’entre eux sont nés israël-isés, comme nous nous plaisons à les voir, mais l’absence d’identité pour les Arabes nous posera aussi un problème social impérieux. La situation des juifs dans le monde est bien meilleure que la leur.

La solution ne réside pas que dans les budgets, comme nous aimons à le croire (mais pas à le faire). Jusqu’à ce que nous leur reconnaissions des droits égaux, et notamment le droit de dire ce que nous ne voulons pas entendre, ils resteront un problème démographique sans solution. Jusqu’à ce que nous comprenions que nous ne leur avons rien donné, que dans une démocratie les droits sont naturels et considérés comme des acquis, et jusqu’à ce que nous acceptions – pas seulement la célèbre Futna mais les moins plaisants Scandar et Ahmed – il n’y aura pas de démocratie ici. Ils seraient non loyaux à l’égard de l’Etat ? Mais l’Etat leur est bien moins loyal.

http://www.haaretz.com/hasen/spages/1156259.html

traduction : JPP pour la CCIPPP


Gideon Levy (Ha’aretz)
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