La vie au check-point l'Humanité

Publié le par ag94

Nadir Dendoune est journaliste indépendant. Durant son périple en Israël et Palestine, il décrit ce qu’il vit et ressent. Aujourd’hui : les interminables contrôles.

 

 

Les Palestiniens savent toujours à quelle heure ils partent, ils ont des montres, ce sont des gens civilisés, mais il ne savent jamais à quelle heure ils vont arriver. Avant de venir en apartheid-land, je n’imaginais pas à quel point la présence militaire israélienne était aussi présente en Cisjordanie.

En France, beaucoup s’imaginent que les Palestiniens sont souverains sur leur terre, ce qui est faux, il y a un occupé et un occupant, un colonisateur et un colonisé. Beaucoup de mes confrères (heureusement que certains dérogent à cette règle) flippent de perdre leur boulot et préfèrent raconter des salades mexicaines, dans la vie, ou t’en as, ou t’en as pas, c’est aussi simple que ça ! Un jour, peut-être, ces « sans-burnes » se regarderont dans la glace et éprouveront de la honte.

Je ne demande pas grand-chose, juste qu’on rappelle sans cesse qu’Israël, the only democracy in the middle East est un état voyou, puisqu’il s’en cogne du Droit International, plusieurs résolutions ont été votées et elles ne sont jamais respectées. Je leur demande juste de ne pas avoir peur : dénoncer la politique raciste et colonialiste de l’Etat d’Israël ne veut en aucun cas dire qu’on est antisémite. BASONS-NOUS SUR LE DROIT INTERNATIONAL et tout ira bien Simone, comme vous le faites d’ailleurs si bien quand vous vous servez de votre plume acerbe et sans fioriture quand il faut dénoncer les agissements anti-démocratiques des pays-Bougnoules et des pays-Négros. Bref, vous voyez très bien ce que je veux dire.

On était parti rendre visite à des militants Peace and Love dans le camp de réfugiés de Deisheh, tout près de Bethlehem, la ville où serait né Jésus de Nazareth, l’un des plus célèbre Juif. On avait discuté quelques heures pour prendre la température de l’optimisme et ça n’allait pas fort de café : le moral des Palestiniens était en berne, brisé par des années de lutte qui semble n’aboutir à pas grand chose, sinon, à les enfermer toujours encore plus dans leur misère. D’ailleurs, les Colons ne sont pas dupes : un confrère (moi c’était niet pour aller leur rendre visite, trop Bougnoule) était allé dans l’une des colonies sauvages : elles sont tellement nombreuses en Cisjordanie et poussent comme des champignons, illégales mais tolérées, encouragées par l’Etat et protégées par la police.

Mon collègue avait pu s’entretenir avec l’un d’entre eux. Il lui avait avoué que dans leur secte toute pourrie, beaucoup étaient au courant de l’exaspération des Palestiniens, et que c’était pour ça qu’il fallait continuer sans complexe à construire des baraques de merde. Il était 20h et il était temps de rentrer à Ramallah, surtout qu’on était attendus par des étudiants palestiniens qui nous avaient promis qu’ils nous apprendraient la dabkeh, la danse la plus populaire du pays.

En Palestine occupée depuis des lustres, les taxis collectifs attendent d’être remplis pour pouvoir partir, et à cette heure-ci, les voyageurs ne se foutent pas des torgnoles pour avoir leur place dans le mini-bus climatisé. Nous étions trois, trois de l’Occident, nous attendions à l’intérieur du van depuis quelques minutes, les prix sont dérisoires en Palestine-quart monde, et on a dit au chauffeur, c’est bon allons-y, on paie pour les huit places. Il n’y a que quinze kilomètres entre Bethléem et Ramallah, quinze bornes c’est que dalle, en courant, moins d’une heure, en scooter 125, si je grille aucun feu rouge, j’en ai pour un quart d’heure. Le chauffeur était accompagné d’un ami. Les deux avaient de bonnes têtes d’Arabe. On était bien avec eux, on écoutait des chants du Moyen-Orient et on suivait le rythme de la musique en tapant des mains. Ensuite, on s’est mis à danser et c’était le bonheur du paradis.

J’étais avec deux filles de chez nous, deux Françaises, Acht et San, des femmes de conviction, des nanas courageuses, comme on n’en trouve plus trop dans notre société qui ne pense qu’à son nombril et à son compte en banque. C’était trop bien, vraiment, on avait besoin de rien d’autre, trop de joie et trop d’amour dans un seul endroit. Wow…La nuit avait posé ses valises, le vent avait déménagé, la circulation était dense. A un moment, j’ai même oublié que je me trouvais dans un pays sous occupation militaire. Je me sentais libre. Ca n’a pas duré, on est arrivés à proximité d’un check-point.

Des petits jeuneots arrêtaient les bagnoles qui disposaient de plaques vertes (celles des Palestiniens). Les militaires-ados ouvraient les coffres, vérifiaient les identités des passagers. Sur le front, une torche puissante, leurs fusils prêts à dégainer. Le chauffeur a baissé le volume de la sono, j’ai sorti mon passeport BBR. Les soldats ont été rassurés de voir des fromages qui puent, mais comme on traînait avec des frères de Palestine, ils nous ont quand même considérés comme des Bougnoules sans grade et on n’a pas pu prendre le chemin direct vers Ramallah. Le chauffeur est resté silence, l’habitude de l’humiliation, et on a bifurqué vers la droite. La route était bloquée, on avançait plus du tout, plusieurs centaines de voitures nous devançaient. Que des Palestiniens. On a pensé faire demi-tour, le chauffeur a dit, il se peut qu’on arrive à Ramallah dans deux heures, voire plus. J’ai demandé si ça arrivait souvent, il a souri. J’ai dit ensuite : « comment les gens font pour aller bosser alors ? », il a de nouveau souri. Il était 21h30 et on avait quitté Bethléem à 20h. De l’autre côté, sur notre gauche, des Israéliens, les voitures aux plaques jaunes, filaient à toute vitesse.
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