compte-rendu de mission à Gaza

Publié le par ag94

Compte rendu de mission à Gaza

Marc Everbecq, maire de Bagnolet



En direct du terminal de Rafah Mercredi 21 janvier 2009   Depuis ce matin 5 heures, notre véhicule se dirige vers Rafah. Nos amis nous attendent pour nous emmener sur les lieux du massacre. Nous arrivons vers 10 heures, après avoir été bloqués pendant une heure sur la route qui traverse le désert du Sinaï. En arrivant à la frontière, nous voyons des dizaines de camions d'aide humanitaire bloqués. Nous ne comprenons pas pourquoi l'Egypte n'accélère pas les convois d'aide. Ils sont là depuis des heures. En arrivant sur le poste de contrôle nous nous heurtons à un refus des autorités de nous laisser passer. La délégation est composée d'un député européen président du groupe de la gauche unitaire européenne au Parlement européen, Francis Wurtz, du directeur de l'Huma, Patrick Le Hyaric, du secrétaire général de l'UAM 93, M'hammed Henniche, d'un vice président communiste du conseil général de l'Oise, Alain Blanchard, de Meriem Derkaoui, conseillère municipale communiste de Aubervilliers, de moi-même et Fernand Tuil. On nous refuse le passage. Bloqués également : 50 pompiers francais venus pour rétablir l'eau potable, notamment pour un hôpital. Mais aussi une délégation de Médecins sans frontières. Et tous ces camions qui s'alignent sur des centaines et des centaines de mètres en attendant quoi, on se le demande. Nos amis palestiniens de l'autre côté de la frontière étaient enthousiastes à l'idée de voir des Français venir dénoncer les massacres et l'agression sauvage des généraux israéliens, venir apporter leur soutien politique, et venir prendre des contacts pour évaluer les besoins afin de mettre sur pieds une initiative concrète de solidarite avec les familles palestiniennes. Ce soir nos amis sont effondrés. Ils se sentent seuls. Terriblement seuls. Au milieu de tous ces morts que les décombres révèlent au fur et à mesure. Demain nous y retournons. Avec l'espoir de pouvoir entrer à Gaza.  

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Je suis entré dans Gaza Jeudi 22 janvier 2009   16 heures : au bout de deux jours d'insistance, nous parvenons à entrer dans la bande de Gaza par Rafah. Nos amis sont heureux. Ils nous emmènent de suite dans le camp de Rafah où un F16 a jeté des bombes et fait des morts. De là, nous allons au camp de Jabaliya qui a été bombardé jour et nuit pendant toute la durée de l'agression militaire. Un homme qui a perdu sa fille dans le massacre de l'école de l'ONU nous dit, devant le cimetière bombardé : "ici nous vivons comme des morts vivants". Le camp est plongé dans le noir. Israël a coupé l'électricité. Quelques groupes électrogènes tournent ici et là. Un homme nous dit sa peine. 11 personnes de sa famille sont mortes sous les bombes. 85% des morts sont des civils. Ici personne ne comprend cet acharnement israélien. Cela dépasse toutes les horreurs que nous avons vécues jusque-là, nous dit-on. On nous raconte que la résistance palestinienne n'était pas du seul fait du Hamas. Toutes les factions étaient engagées. Les morts israéliens seraient probablement au nombre de 100. Pour dire l'intensité des combats. Ce soir, ce qui me frappe c'est la joie des Palestiniens. Joie du cessez-le-feu. Joie de vivre. Joie blessée par la douleur des meurtrissures. Mais surtout, joie immense d'être un peuple debout. A demain.  

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  Crimes de guerre à Gaza Vendredi 23 janvier 2009
Nous sommes dans la bande de Gaza depuis 24 heures. Nous y avons vu un peuple martyrisé par l'armée israélienne. En quelques heures, nous avons fait le tour des camps de réfugiés à Rafah, Jabaliya, Deir el-Balah, Khan Younes. Passage aussi à Gaza City. Partout la même désolation. Des milliers de maisons par terre. L'hôpital Al-Quds du Croissant rouge est entièrement détruit. Des milliers de familles dorment à même le sol dans des salles de sport. Soheila et ses soeurs de misère nous disent : "Nous voulons nos maisons" au milieu de leurs enfants. Les stocks alimentaires de l'ONU ont été détruits ainsi que 150 tonnes de médicaments. Une batterie de poulets est dévastée, comme une station d'épuration d'eau. Le parlement palestinien est totalement détruit. Il ne reste qu'une carcasse de béton noircie par le feu. Partout les dégâts sont les mêmes. Aveugles et sauvages. Et puis, nous tombons sur les quartiers qui ont été les plus exposés durant les bombardements et aussi l'occupation militaire. Je prendrai le temps demain de vous transmettre le constat de crime de guerre que nous avons dressé. Des pères de familles qui ont assisté impuissants à l'assassinat gratuit de leurs enfants. Des exécutions sommaires sous leurs yeux. Oui les soldats de Tsahal se sont comportés commes des criminels. Rien ne peut justifier de tels actes. Ils doivent être condamnés. Il faut une commission d'enquête internationale pour recueillir tous ces témoignages. Cela ne peut rester impuni. Un peu partout les cérémonies d'enterrement avaient lieu ce vendredi, jour de prière pour de nombreuses personnes. Ce soir, nous quittons Rafah sous la pluie. Fine. Dans les mosquées les prêches de ce midi étaient très politiques. Le Hamas était très présent. L'unité palestinienne avec le Fatah n'était pas au coeur des discours. Au contraire. Les Palestiniens devront choisir leur voie. Nous souhaitons que ce soit celle de l'intérêt de tous les Palestiniens pour bâtir la Palestine. Bien que fin, comme la pluie qui accompagne notre sortie, le chemin de l'avenir soulève un immense espoir. Immense, comme le coeur des Palestiniens. A demain.  

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Compte rendu de mission à Gaza : 1ère partie Lundi 26 janvier 2009   Le 21 janvier nous arrivons à Rafah vers 10h15. Le terminal, point de passage à la frontière entre la Palestine et l'Egypte, entre en fonction chaque jour à 10h30. Nous ne sommes pas autorisés à entrer. Au bout de plusieurs heures de démarches de notre part, nous obtenons la possibilité de pénétrer à l'intérieur du terminal afin de pouvoir rencontrer les responsables de la sécurité égyptienne qui veillent sur les passages à la frontière. Malgré nos nombreuses interventions auprès de l'ambassade de France, et aussi auprès de contacts que nous possédons, on nous répond cordialement mais froidement : « je ne vous mettrais le tampon sur votre passeport que si le général m'appelle sur ce téléphone ». Le téléphone en question est branché directement sur l'entourage immédiat du général Omar Souleimane, chef des renseignements égyptiens, véritable numéro deux du pouvoir égyptien, qui a la charge de la médiation égyptienne entre le Hamas et Israël. Cette autorisation téléphonique n'arrivera pas. En fin d'après-midi, nous avons eu un peu d'espoir alors que l'Egypte autorisait le passage d'une centaine de journalistes internationaux. Ils attendaient la possibilité d'entrer depuis plusieurs jours. Nous pensions pouvoir entrer avec eux. Cela se révéla impossible. Ni pour nous, ni pour les 47 pompiers français venus apporter leur aide pour rétablir l'eau potable notamment dans un hôpital. Quelle était la raison du blocage ? On ne nous le dira jamais. Nous pensons tout de même que les pressions du pouvoir israélien auprès de l'Egypte sont fortes. Le passage de Rafah est devenu en effet l'un des enjeux politiques et diplomatiques majeurs de l'après cessez-le-feu. Israël tient à ce que les convois de fret, y compris humanitaires, soient plus surveillés. En principe, les camions de fret doivent passer par le poste frontière de Kerem Shalom, à quinze kilomètres, contrôlé par Israël. Mais des camions passent aussi directement par Rafah, ce qui ne plaît pas à Israël. Pendant un temps, nous songeons à passer, nous aussi, par Kerem Shalom, puisque le terminal de Rafah est fermé. Les journalistes présents nous disent que c'est inutile. Ils en reviennent. Là-bas aussi tout est bouclé. Nous décidons d'insister sur Rafah. La position égyptienne à notre égard et envers les autres personnes est sans doute motivée par la volonté des Egyptiens de donner des gages de bonne volonté aux Israéliens sur la rigueur du contrôle de la frontière. En effet, le blocus n'est toujours pas levé. Les Israéliens mettent toute la pression, notamment celle des pays arabes, sur le dos de l'Egypte. Pendant qu'Israël maintient fermés les cinq autres points de passage vers Gaza, le seul qui est « ouvert » est celui de Rafah. Tout passe par là. Au compte goutte. Dès lors, les Egyptiens doivent faire face seuls et sont considérés soit comme des vendus aux Israéliens parce qu'ils contrôlent tout en détail, soit comme des laxistes ou des complices des Palestiniens par les Israéliens, les Etats-Unis et les pays européens qui les accusent de fermer les yeux sur une partie de la contrebande. La réalité est certainement constituée de tout cela à la fois. Nous ressortons amers du terminal vers 18 heures. Direction la ville côtière de El Arish, à 40 kilomètres, pour y passer la nuit et revenir dès le lendemain à la première heure.  

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Compte rendu de mission à Gaza : 2ème partie Lundi 26 janvier 2009    

Le 22 janvier, nous retournons à Rafah. A 10 heures, nous arrivons au terminal. A la différence de la veille, nous entrons, à l'intérieur des voitures de l'ambassade de France, directement dans le terminal, qui ouvre ses grandes portes métalliques noires derrière lesquelles se massent des dizaines de personnes qui cherchent elles aussi à entrer, notamment un groupe de l'association humanitaire malaisienne Mercy. L'ambassadeur de France, Jean Félix-Paganon, est là également. Officiellement, les autorités égyptiennes lui présentent le terminal. Il prépare ainsi la venue dans quelques jours de Bernard Kouchner. L'ambassadeur profite de cette visite des installations pour rappeler la présence des pompiers français et de notre délégation. Il passera une bonne partie de la journée avec nous dans le terminal, à attendre la réponse. Dans l'immense hall d'attente, quasiment vide en dehors de notre délégation, nous constatons que les Palestiniens sont rares. Depuis des jours et des jours, ils ne parviennent pas à passer la frontière. Des familles entières se présentent chaque jour et font demi-tour.

Vers 14 heures, nous voyons Jacques Fath (responsable international du PCF) et Daniel Voguet (avocat) traverser la frontière de retour de Gaza. Ils sont entrés dès le lundi 19 janvier. Les Egyptiens avaient laissé passer une délégation de médecins au milieu de laquelle s'étaient faufilés des responsables politiques comme eux et aussi notamment Alima Boumédiene-Thiery (sénatrice Les Verts) et Mireille Mendès-France. Ils viennent de passer trois jours dans la bande de Gaza. Ils nous décrivent l'horreur de ce qu'ils viennent de voir. Ils nous racontent rapidement le contenu de leurs rencontres avec les personnalités palestiniennes qu'ils ont pu voir. Ils ne sont pas allés dans les camps de réfugiés palestiniens. A Gaza-Ville, nous disent-ils, les bateaux israéliens qui verrouillent le bord de mer tirent tous les matins sur les pécheurs palestiniens qui à bord de leurs barques à rames tentent de s'éloigner de quelques centaines de mètres pour prendre des poissons.

A 15 heures, après des heures usantes d'attente et de pressions de notre part, nous voyons subitement un sourire sur le visage de notre interlocuteur égyptien chargé de nous apporter la réponse. Malgré notre détermination, nous ne nous laissons pas emballer. Et pourtant la réponse est là : positive. Y compris pour les pompiers. Cris de joie. Nous récupérons nos passeports tamponnés et nous prenons en vitesse nos effets personnels. Nous montons dans un car. Il faut obligatoirement emprunter ce car pour passer la frontière, cela facilite le contrôle des personnes par la sécurité égyptienne. Nous passons. Nous entrons en Palestine.

Il est 16 heures. De l'autre côté les moyens sont modestes. Les forces de l'ordre sont habillées de tenues dépareillées. Un responsable vient vers nous. Rapide mot d'accueil. Il nous dit sans attendre : « vous êtes maintenant sous la responsabilité de l'Autorité palestinienne à Gaza. » Ici, c'est le Hamas qui exerce le pouvoir au nom de l'Autorité palestinienne. On nous demande de présenter nos passeports. Pour l'entrée, coup de tampon de l'Autorité palestinienne à Rafah. Nous remontons dans un car jusque vers la grille de sortie du terminal. Nous prenons conscience que cette zone le long de la ligne dite « Philadelphie » de séparation entre la bande de Gaza et l'Egypte et Israël a été pilonnée jour et nuit pendant trois semaines par les tapis de bombes de l'aviation militaire israélienne. C'est là en effet que se trouvent les fameux tunnels. La frontière palestinienne s'ouvre devant nous. Zyad est là. C'est Fernand Tuil qui le voit en premier. Depuis la fenêtre du véhicule il l'appelle : « Zyad, Zyad. » Zyad tourne la tête en entendant son nom. A la vue de Fernand, son agitation est devenue totale et son sourire immense et magnifique. Zyad entre dans le minibus et tombe dans les bras de Fernand Tuil et de Meriem Derkaoui : « Kifak Fernand, kifak habibi, kifek Meriem. » « Kifak Zyad » lui répondent-ils.

Zyad est le président du Comité populaire du camp de réfugiés de Rafah. Il nous conduit immédiatement dans le camp. Dès notre arrivée, au bout de deux minutes, nous sommes entourés de dizaines et de dizaines d'enfants. Ils jouaient jusque-là au milieu des décombres provoqués dans la nuit de la Saint Sylvestre. Le 31 décembre au soir, un avion F16 israélien est passé. Il a largué une seule bombe. Une bombe qui se fragmente en une multitude d'éclats qui ont ravagé un quartier entier en lisière du camp de réfugiés où vivent 160000 personnes, l'équivalent d'une personne au mètre carré. Zyad, le président du comité populaire, nous dit : « On ne sait pas ce que visait officiellement Tsahal, car ici il n'y aucune arme. Il semblerait que le pilote, une femme, avait reçu l'ordre de passer une deuxième fois pour larguer à nouveau une bombe. Compte tenu des dégâts causés, celle-ci aurait refusé de survoler à nouveau le camp. A son retour, elle aurait été arrêtée et condamnée à deux ans de prison pour insubordination. »

Zyad est au Fatah. Il y a quelques mois, nous dit-il, les militants du Hamas voulaient le tuer. Il a du s'enfuir. Chaque jour, il s'est caché dans une maison différente avec sa femme et ses deux enfants. Une vie très difficile. Mais depuis quelques temps, tout s'est calmé. Le Hamas a accepté que Zyad continue à être le président du comité populaire. Zyad peut donc maintenant se montrer en public. C'est pour lui une fierté de conduire notre délégation dans les passages du camp. Nous entrons dans les maisons. Ici ils vivent à huit dans 25 mètres carrés. Les maisons sont construites avec des toits de taule ondulée. Une sorte de bidonville. A l'image de nombreux camps de réfugiés palestiniens. Le docteur Hussein Atar nous fait voir le toit de sa maison. Tout est cassé. Le 31 décembre, un des éclats s'est abattu sur sa maison. Ses deux filles qui préparent le baccalauréat, dont une pour devenir dentiste, étaient dans la pièce d'à côté. Elles nous racontent. Puis nous sortons dans la rue. Toutes les boutiques sont éventrées. Les façades effondrées au milieu de la chaussée. A quelques mètres de là, se trouve une place sur laquelle se dresse une immense étoile de béton. La Place Nedjma. La Place de l'Etoile. Le seul triomphe ici est celui du marché noir. C'est là, en effet, que se vendent tous les produits de contrebande qui proviennent des tunnels. Ils sont vendus dix fois plus chers qu'en Egypte. On n'y trouve aucun produit de première nécessité, mais des cigarettes, des ordinateurs, des fers à repasser, des ustensiles de cuisine, des radios, des télévisions, des motos chinoises qui passent en pièces détachées, etc. C'est le Hamas qui tient le marché. On trouve aussi de l'essence, à 7 dollars le litre. Les tunnels sont au nombre de 1500, nous explique t'on. Les bombardements en ont détruits certains. « Assez peu en définitive » nous disent nos interlocuteurs. Ils sont nombreux à fonctionner encore. Ceux qui faisaient passer l'essence ne se sont pas arrêtés, car les tuyaux même écrasés n'ont pas été coupés par les éboulements que les bombes ont provoqués. Pour les tunnels détruits, les Palestiniens se sont mis au travail dès la fin des bombardements pour les remettre en ordre ou en creuser de nouveaux. Les creuseurs de tunnels avancent au rythme de dix mètres par jour. Dans deux ou trois mois, tout aura été remis en place comme au premier jour des bombardements. Ces tunnels servent à 85% à faire passer de la contrebande civile. Ils sont creusés à des profondeurs qui vont entre 11 et 20 mètres. Les bombes perforantes des militaires israéliens peuvent aller jusque là. Mais pour les armes, les tunnels sont à 70 mètres de profondeurs. Trop profonds pour les bombes adverses. Ici tout le monde le dit sur un ton moqueur : les Israéliens n'ont pas détruit notre capacité de contournement du blocus. Toutes ces bombes n'ont servi à rien. D'ailleurs au milieu de la nuée d'enfants qui nous entoure, un gosse nous dit : « on préférait quand il y avait les bombardements ! » « Mais comment est-ce possible ? » lui avons-nous répondu surpris et en chœur. « Mais si, il n'y avait pas école ! » a répondu un autre du tac au tac, entraînant un éclat de rire de tous les enfants. Ces propos d'enfants nous ont fait sourire une demie seconde et nous ont aussitôt ramenés dans cette sinistre réalité qui s'appelle la vie des Palestiniens. Ce qui nous apparaît exceptionnel est pour eux la banalité du quotidien. Quelle vie mène t'on ici ? Peut-on encore appeler cela « la vie » ? C'est plutôt de la survie, en état de stress, d'angoisse, de peur, de déstabilisation permanents. Que deviendront ces enfants une fois adolescents et adultes ? Ce sont des victimes, mais je sais déjà qu'en Israël et dans la bouche des politiciens occidentaux on les insultera en les traitant de « terroristes ».

Nous quittons Rafah et nous partons pour le camp de Jabaliya au nord de la bande. Dans le minibus Pierre Barbancey, grand reporter du journal L'Humanité, le premier correspondant de la presse nationale française a être entré dans la bande de Gaza, nous informe du comportement de Tsahal auprès des civils. Il nous raconte l'histoire suivante. Dans le quartier de Talel Halwa dans Gaza-Ville, les militaires israéliens sont arrivés vers 6 heures du matin. Avec les mégaphones ils ont demandé à tous les habitants de sortir de l'immeuble. Une fois en bas, ils ont mis les hommes d'un côté et les femmes et les enfants de l'autre. Ils ont ensuite demandé aux hommes de se déshabiller et de se mettre nus devant tout le monde. Et là les militaires israéliens sont arrivés avec des chiens pour qu'ils reniflent les hommes nus, ainsi humiliés en public. Dans l'immeuble d'en face, les militaires ont sorti tout le monde et ont fouillé chaque appartement pour voler les bijoux, les choses de valeur, les ordinateurs. Comme une armée de pillards sans morale ni valeurs.

Autant d'attitudes terribles, surtout pour le premier exemple, que l'on retrouve à travers l'histoire dans les pays où l'on a considéré l'autre peuple comme un peuple de sous-hommes. Comme si les jeunes juifs israéliens d'aujourd'hui voulaient se libérer des images tragiques des juifs d'Europe centrale humiliés, massacrés, considérés comme des sous-hommes et exterminés par les nazis. Pensent-ils, inconsciemment sans doute, qu'en se comportant durement et cruellement avec d'autres, ici les Palestiniens, cela les libèrera de cette hantise ? Bien sûr, il ne s'agit pas de comparer la Shoah avec quoi que ce soit d'autre. Nous avons lu Primo Levi. Et pour les communistes français, nous avons combattu les nazis dans la résistance et nous avons sauvé des milliers de juifs de France de l'extermination nazie. Nous n'avons donc aucune leçon à recevoir sur ce sujet. Il ne s'agit donc pas pour nous de comparer la Shoah au malheur que subissent les Palestiniens. Mais nous voulons néanmoins comprendre pourquoi un peuple dont la création de l'Etat est le fruit de la décision de la communauté internationale se comporte de la sorte. Tenter de comprendre ne signifie pas excuser. Ce mal est très certainement de même nature, d'un point de vue psychanalytique, mais cette fois-ci à l'échelle d'un peuple tout entier, que celui de l'enfant qui a vu son père battre sa mère. Il aura une très grande probabilité lui aussi de battre à son tour sa femme comme pour se libérer de la honte d'avoir assisté, enfant, impuissant à cette violence insupportable. Ce mécanisme de renversement de la violence est évidemment très présent au cœur de l'esprit israélien. Parce que l'histoire de la Shoah est toujours vivante et la souffrance encore vive. Le militant pacifiste Michel Warschawski qui anime le Centre d'information alternative (AIC) à Jérusalem évoque régulièrement ce phénomène pour expliquer la dureté et la haine qu'éprouvent, trop nombreux, les Israéliens envers les Palestiniens. Plutôt que d'aider les Israéliens à sortir de leur profonde souffrance, et de les aider à se réconcilier avec le monde qui les a tant fait souffrir, en apprenant à bâtir un monde plus fraternel autour d'eux, il faut déplorer l'usage de cette souffrance par de nombreux politiciens qui y voient le moyen de convaincre de nombreux juifs en Israël que la meilleure sécurité pour leur peuple tient exclusivement dans l'exercice de la violence et de la suprématie militaire comme moyen de dissuasion. Certes, il ne faut pas tomber dans la naïveté et l'angélisme. La sécurité nécessite des moyens militaires. Personne ne le conteste. Mais comment admettre cette dérive-là ? Comment admettre en effet, sauf à dynamiter l'ensemble du droit international qui n'a d'ailleurs pas besoin de cela, que les dirigeants israéliens aient un droit moral et exclusif à l'impunité au regard des règles internationales ? Israël est champion du monde toutes catégories du non respect des résolutions de l'ONU qui la concerne. Les politiciens qui en Israël et ailleurs entretiennent cet état d'esprit général sont de dangereux irresponsables. Ils font bien sûr le malheur des Palestiniens mais aussi des juifs d'Israël qu'ils condamnent à la violence, celle exercée comme celle subie. En lisant le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin dans L'Humanité du samedi 24 janvier je trouve cette phrase de Nelson Mandela tirée de son livre « Un long chemin vers la liberté ». Je cite : « L'Etat était responsable de la violence et c'est toujours l'oppresseur, non l'opprimé, qui détermine la forme de la lutte. Si l'oppresseur utilise la violence, l'opprimé n'aura pas d'autre choix que de répondre par la violence. Dans notre cas, ce n'était qu'une forme de légitime défense. » Le malheur des hommes, quels qu'ils soient, doit cesser. Les Israéliens comme les Palestiniens ont donc besoin d'unir leurs forces pour bâtir un autre monde, de paix, de justice, et de fraternité.

« Ici, nous vivons comme des morts-vivants ! » Un homme nous parle dans la nuit sans électricité de Jabaliya. Dès notre descente du minibus, on nous montre au milieu de la nuit, à l'aide des phares d'une voiture, le cimetière bombardé dont la presse internationale a parlé. L'homme se tient là au milieu des décombres. Il s'appelle Ramadan Debbes. Son fils, Mohamed Debbes, est mort dans ses bras. Il venait tout juste de l'extraire de l'école de l'UNRWA ou 43 enfants sont morts suite au bombardement de Tsahal. Cette école est l'une des trois structures de l'UNRWA où Israël a commis ce que le secrétaire général de l'ONU, Monsieur Ban Ki-moon, considère lui-même comme des actes devant être jugés. Au-delà de l'agression criminelle des dernières semaines, la vie quotidienne est aussi un enfer. Ici 85% de la population vit sous le seuil de pauvreté. La guerre des riches contre les pauvres est l'un des aspects de la domination israélienne. Il n'y a pas d'électricité. Sauf à travers les quelques groupes électrogènes que seulement quelques familles, sûrement moins miséreuses que les autres, peuvent se payer. Pas d'eau non plus. En fait si : une fois deux heures par semaine. Ceux qui peuvent remplir des citernes sur le toit de la maison arrivent à garder des réserves bien utiles pour le reste de la semaine.

Nous sommes accueillis à quelques mètres de là dans la maison de l'un de nos amis. Très vite une quarantaine de personnes sortent de chez elles et viennent nous rejoindre. Chacun évoque les trois semaines de guerre. Nous apprenons la présence, dans la rue d'à côté, du médecin gynécologue palestinien Ezzedine al-Aish que nous avons tous vu crier sa douleur depuis l'hôpital de Tel-Aviv lors d'une émission en direct de la télévision israélienne. Sa maison est dans le camp de Jabaliya. Ses deux filles mortes vivaient là. Leur mère, malade d'un cancer, est morte il y a cinq mois. La troisième fille, blessée, a pu être sauvée. Il est venu enterrer ses deux filles.

Depuis la maison de notre hôte, je décroche mon téléphone pour m'adresser en duplex aux 220 Bagnoletais venus au Cin'Hoche pour une soirée de solidarité avec Gaza et la Palestine. Je parle de la sauvagerie de l'agression que j'ai pu constater, de la véritable résistance que les Palestiniens ont opposée, et de ce peuple meurtri mais debout, les yeux remplis de larmes et d'angoisse mais tournés vers l'avenir.

Notre hôte continue à nous parler. « Les bombardements et les tirs touchaient surtout les civils. C'était très violent. Pourquoi ? Nous ne le savons pas. » « Tsahal distribuait des tracts par avion pour dire aux civils de s'éloigner de deux kilomètres. Les civils ont fui. Mais ils n'avaient pas où aller. Les gens partaient jours et nuits. Ils étaient affolés. C'était dur. J'ai été marqué par cet homme avec ses quatre filles adolescentes, effondré sur un banc, devant chez moi, qui se prenait la tête dans les mains en hurlant : « où vais-je aller avec mes filles ? Je n'ai nulle part où aller. » » « Toute la partie nord de la bande de Gaza était en danger. Comme ici. La maison d'à côté a été détruite par une bombe. Cela aurait pu être la mienne. Si cela avait été le cas, nous étions onze à l'intérieur. » « Nous avons subi les bombes au phosphore. Ce sont des bombes incendiaires. Un peu comme le napalm. Beaucoup de frappes étaient lancées depuis des bateaux en mer. Cette situation a duré jusqu'au dernier jour. Il y a eu des choses qu'on n'a pas vu mais dont on entend parler : des crimes contre des ambulances, contre la sécurité civile. On ne cesse de déterrer des cadavres ensevelis sous les décombres et que les bulldozers ont enfouis sous la terre qu'ils ont entièrement retournée. Ils ont frappé l'hôpital qui accueillait les blessés et disposait d'un stock de 150 tonnes de médicaments. Tout a été détruit. On a tout vécu, l'occupation et tout le reste. C'était dur. Mais on ne pouvait pas imaginer une seconde un tel déferlement de bombes. C'est l'opération militaire la plus meurtrière jamais engagée par Israël depuis quarante ans.

Un homme arrive depuis la nuit noire de la rue. Ses voisins lui ont dit qu'une délégation française était présente. Il est donc venu nous dire qu'il est le seul survivant d'une famille de 12 personnes. Une bombe est tombée sur sa maison et tout le monde sauf lui est mort de l'explosion et de l'effondrement.

La soirée se termine. Une partie de la délégation va dormir chez notre hôte. L'autre partie, va chez Zyad. Un immeuble de dix étages, avec un ascenseur qui ne marche pas puisqu'il n'y a pas d'électricité. Nous buvons un verre de thé. Zyad repart acheter du pain pour le petit déjeuner de demain matin. Nous discutons avec lui, sa femme, et ses deux garçons jusqu'à 1 heure du matin. Le groupe électrogène tourne sur le balcon et son bruit couvre en partie le son de nos voix. Nous nous couchons par terre sur des couvertures pour dormir car demain nous avons prévu de nous lever à 6 heures pour reprendre notre mission dès 7 heures.

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